Musée d'Art Naïf International
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Du 13/04/2024 au 08/10/2024

BÊTES ET NAÏFS, LE LIEN DE L'HOMME À L'ANIMAL DANS L'ART NAÏF

«Les naïfs ne deviennent des naïfs que dans la mesure où ils ont quelque chose à dire, quelque chose de fatal, d'énorme, d'écrasant, qui leur tient fort, très fort à cœur et qu'ils ont à réaliser envers et contre tous, tôt ou tard, par leurs propres moyens, sans aide de qui que ce soit, lorsqu'ils deviennent des possédés.»
Anatole Jakovsky, fondateur du musée d'Art naïf de Nice.

Cette exposition s’attache à étudier les différentes apparitions de l’animal, un motif réitératif de l’art naïf, dans les toiles d’artistes issus des quatre coins du monde et collectionnés par Max Fourny et Françoise Adnet.
En quatre sections, elle explore ce que la bête, meilleure amie de l’homme ou, au contraire, sa plus grande menace, a à nous dire de si « fatal », de si « fort et écrasant », quant à notre condition humaine. Ce que sa présence sur la toile convoque comme message universel ou comme combat social. Ce qu’elle porte d’appel au vivre ensemble, à l’humilité et à l’unité de notre être et de la nature.
Ce qu’elle nous enseigne, en somme, de la perception idéale du sens de la vie.

Commissariat : Emma NOYANT
Collection Max FOURNY et Françoise ADNET

Jusqu'au 8 Octobre 2024. Réservez votre visite

"Le berger" Nicole Barry

ENTRE CHIENS ET CHATS

« Animaux de compagnie… L’expression est un peu réductrice : on devrait dire nos compagnons de vie : chaque jour, fidèles au poste,
affectueux, doux, participant à nos activités parfois, suivant et acceptant nos horaires, nos idées de les emmener en voyage ou de les faire garder…
Qui de plus présent durant des années sans 
décevoir ? », écrit Berthine Marceau.
Intrinsèquement lié au quotidien de l’homme, l’art naïf puise dans un référentiel universel.
Peintres du cœur, ces artistes valorisent nos 
compagnons pour en faire des sujets poétiques suscitant l’émotion.
Dans sa Critériologie de l’art naïf éditée par Max Fourny (1984), Robert Thilmany parle du
« sens merveilleux ou apparitif d’un animal, 
que celui-ci soit fabuleux ou familier ».
Dans cette section, l’apparition étrange des animaux de nos foyers d’ordinaire si familiers sert un enjeu cher aux naïfs : créer un décalage.
Partir d’un réel à priori banal pour tendre vers l’onirisme.

Sur la toile, un chien violet est assorti aux vêtements de son maître (Jan Knjazovic).
Ou bien, ces chats habillés ont des attitudes 
humaines (Berthine Marceau).
Partout, l’animal détonne.
Quand ce 
n’est pas sa présence et son comportement qui surprennent, son simple aspect fait tomber la toile dans le domaine du merveilleux.
Ces chiens et chats de tous les jours sont d’ailleurs, tout droit sortis des rêves de leurs créateurs.
Par leur présence insolite sur la toile, le peintre invite le spectateur à trouver de la magie dans ce qu’il y a de plus commun.

L’ANIMAL, FAIRE-VALOIR DE LA RURALITÉ

D’après L’art naïf yougoslave de Neboïsta Tomasevic, le peintre Antun Bahunek considère que
« ce qu’il y a de plus important au sujet de la peinture naïve, c’est qu’elle ramène l’homme à la nature. »

Dans ces paysages verdoyants, l’homme, l’animal et le paysage en parfaite alchimie incarnent une unité naturelle.
Conjugués sur la toile, ils produisent une poésie imagée.
Ici, le rouge de la gorge de l’oiseau épouse les roses du ciel ou du chemin.

Là, la présence de sept petits chiots noirs est associée au chiffre sept, symbole de la totalité de l’univers en mouvement.
Le traitement irréel de l’image dit la perfection du monde rural.
Partout, la présence de l’animal crée un sentiment de familiarité avec le spectateur.
Il incarne la nature et ses cycles, la vitalité et la connexion avec la terre.
Sur les temps de repos, sa proximité avec l’homme est aussi perceptible.
Dans les tableaux naïfs yougoslaves, peindre l’animal permet d’exprimer les vertus du travail de la terre.
A Lebine (Podravina), un village de Croatie continentale à la frontière hongroise,
des paysans sculptent ou peignent sur verre leur quotidien, leurs terres, les maisons traditionnelles et leurs animaux.

Ces derniers peuvent être représentés avec des caractéristiques humaines, pour ajouter une dimension ludique à l’œuvre.
Ils sont des symboles culturels : les coqs symbolisent la fierté nationale,
les oiseaux incarnent la liberté, les poissons, la riche vie aquatique de cette région…

L’histoire locale alimente la créativité des peintres croates :
c’est le cas du drame des inondations de la rivière Drave, frontière naturelle de 200 km entre la 
Croatie et la Hongrie.

Durant les années 1970, des travaux sont effectués pour renforcer les berges et pouvoir y naviguer. 
Plusieurs tableaux naïfs racontent la vie près de la rivière et les tragédies qui s’y déroulent.


"La récolte" - Ljubomir Milinkov

BÊTES SAUVAGES

Comme dans les jungles du Douanier Rousseau, ces toiles sont peuplées de scènes sauvages idylliques.
Qu’il soit rêveur ou instinctif, 
l’animal naïf y est dépourvu d’un mal élaboré et construit, de nature humaine.
Il incarne un monde primitif utopique.
Il est le protagoniste 
d’un paradis perdu où l’être vivant n’est pas dénaturé par la civilisation.
Dans ces représentations idéalisées, les prédateurs vivent en harmonie avec leurs proies.
Et des présences animales secondaires 
renforcent l’aspect luxuriant d’une nature immaculée.
L’image fantasmée portée par ces animaux est celle d’un havre de paix pour l’homme contemporain déconnecté de son propre état de nature.
La fantaisie des peintres naïfs se manifeste aussi lorsqu’ils revisitent des scènes bibliques telles que le Jardin d’Eden.
Rappelons qu’au 
moment où la peinture académique fait d’Ève une muse, Rousseau la représente avec un caractère « rustre », moins « avenant », c’est-à-dire plus « innocente au monde » (Le Douanier Rousseau, Jean-Claude Lévêque).
La tentation du serpent de la Genèse semble alors 
plus barbare encore et sa présence revêt un aspect moralisateur très fort : il est l’élément perturbateur dans un jardin d’Eden reflet des
idéaux et des aspirations de l’artiste, où Ève encore pure s’apprête à pécher par sa faute.
En mangeant la pomme, Ève se civilise en un 
sens, elle accède à la connaissance et bascule.
Sur le plan plastique, l’animal sauvage en son lieu de plénitude permet d’explorer les couleurs et les détails, de peindre chaque robe de l’animal ou chaque feuille de la végétation - la minutie dans la réalisation étant l’un des critères majeurs de l’art naïf.


Bernard Vercruyce devant son "Grand Ours Chat"

CRÉATURES FANTASTIQUES ET DIVINITÉS

Un tel bestiaire permet aux peintres d’exprimer sans retenue une fantaisie tout droit sortie de leurs rêves.
En regard de la toile Le 
prince s’envole sur son cheval d’Aldo Verzelloni, l’ouvrage Le rêve et les naïfs édité par Max Fourny explique que le vol fait partie des images se retrouvant « de façon préférentielle dans les rêves », tout comme les « astres », un motif récurrent chez l’artiste italien.
« Ce 
sont toutes les obsessions du rêveur que leur talent a su rendre à la lumière du jour. »
Le recours aux créatures fantastiques est aussi un moyen pour l’artiste de nous rappeler à notre animalité :
le yougoslave Boris 
Zohar représente le carnaval « Kurent », spécifique des Ptuj (Slovénie).
Ces créatures mythiques parcourent les rues en 
procession,
dansant et agitant des fouets en laine pour chasser 
symboliquement l'hiver et inviter le printemps.
Quand l’homme ne se confond pas à l’animal via un costume, il reste le sujet de l’œuvre.
Pour l’Allemande Heidrun Maurer, la bête 
monstrueuse incarne le mal, dans le choix qui se présente à l’enfant.
Quant à l’ange, il symbolise la lumière.
Par le recours au fantastique, 
l’artiste illustre une décision morale s’imposant à tous tôt ou tard : faire le bien ou le mal.
Ici encore, c’est donc une problématique 
profondément humaine et universelle dont il est question.
Dans 
L’arbre et les naïfs édité par Max Fourny,
Jacques Brosse écrit : « Qu’il 
s’agisse ici d’un enfant signifie que le choix n’est pas encore fait, que le destin reste pour lui ouvert».
Voici donc une représentation de l’Arbre de Vie en tant que symbole du « processus d’individuation ».


"L'arbre de vie" Heidrun Maurer